Jeudi, 22 Mai
Homélie du 17 décembre. 3ème dimanche de l'Avent. Frère Damien Dupras,op.
 
La figure de Jean-Baptiste

Jean-Baptiste était connu. Beaucoup venaient recevoir le baptême qu’il donnait dans le Jourdain en signe de conversion. On venait entendre ses paroles percutantes, on accourait aussi pour recueillir ses conseils de vie : « que devons-nous faire ? » viennent lui demander les foules, les publicains et même des soldats (cf. Lc 3,10-14).

Tout le monde, ou presque, reconnaît en lui un envoyé de Dieu, un prophète ; certains se demandent même s’il n’est pas le Messie annoncé par les prophètes des temps passés. Messie ? Ce mot hébreu, qui se traduit en grec « Christ », signifie : celui qui a reçu une onction. Il s’agit au départ d’une onction d’huile qui symbolise le don que Dieu fait de son Esprit à quelqu’un en signe de consécration.

Aujourd’hui, ce sont des représentants des autorités religieuses qui viennent interroger Jean sur son identité. Celui-ci s’empresse de dissiper les doutes : « je ne suis pas le Christ » ; « je ne suis pas le prophète annoncé ».

Les enquêteurs lui demandent également s’il est le prophète Élie. Une telle question mérite une petite explication. Élie, c’est l’un des prophètes les plus anciens (IXe s) et les plus prestigieux, peut-être le plus prestigieux de tous. Non seulement il avait parlé au nom de Dieu, mais il avait aussi accompli des miracles, et même ressuscité un mort ; quand Jésus apparaîtra resplendissant de gloire devant quelques apôtres sur le mont de la Transfiguration, il y aura à ses côtés Moïse et Élie. Élie est en quelque sorte le prophète par excellence.

Élie s’habillait d’un vêtement de poil, et l’on n’a pas manqué de remarquer que Jean-Baptiste fait de même. Ceux qui viennent le questionner ont aussi en tête un oracle prononcé par un autre prophète, plus récent et moins connu qu’Élie : Malachie, qui avait annoncé de la part de Dieu : « Voici que je vais vous envoyer Élie le prophète, avant que vienne le jour du Seigneur, jour grand et redoutable » (Ml 3,23).

L’annonce d’un tel jour, grand et redoutable, est un thème essentiel de la prédication du Baptiste ; c’est pourquoi il n’est pas étonnant qu’on ait pensé que c’était lui, Élie, qui devait venir. D’ailleurs, Jésus lui-même l’affirmera (cf. par exemple Mt 11,14) ! Pourtant, quand on lui pose la question, Jean-Baptiste répond toujours par la négative : « non, je ne suis pas le prophète Élie ». Cela a de quoi nous laisser perplexes et susciter l’intérêt des spécialistes de la Bible. Nous pouvons au moins comprendre que Jean-Baptiste n’est pas la réincarnation de l’antique prophète, pour la simple raison qu’il n’y a pas de réincarnation, comme Jésus nous l’a révélé.

En revanche, Jean-Baptiste ne nie pas être envoyé par Dieu, il ne nie pas être un prophète. C’est même beaucoup plus impressionnant : il déclare bel et bien que c’est en sa personne que s’accomplit la prophétie d’Isaïe : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Redressez le chemin du Seigneur » (Jn 1,23). C’est déjà énorme ! Il assume le fait qu’une parole qui se trouve dans l’Écriture sainte depuis déjà plusieurs siècles parle de lui ! Y aurait-il donc forfanterie de sa part ? Cacherait-il un orgueil démesuré sous une humilité qui ne serait que de façade ?

Sûrement pas ; en parlant ainsi, Jean-Baptiste ne fait que rendre témoignage à l’action de Dieu. Il est conscient d’être envoyé par Dieu, et son unique souci est d’obéir à cette vocation divine. Supposons que sous prétexte d’une pseudo-humilité il ait dit : « je n’ai reçu aucune mission, je n’ai rien à dire » : quelle catastrophe pour tous ! Qui aurait préparé le peuple d’Israël à reconnaître et à accueillir le Sauveur ? Dieu aurait sans doute pallié à la situation, par exemple en envoyant quelqu’un d’autre ; mais de la part de Jean-Baptiste il y aurait eu une véritable défaillance, une grave défection.

Voilà qui peut être riche d’enseignements pour nous. Bien sûr, ni vous ni moi ne sommes Jean-Baptiste ; lui seul a eu le privilège de désigner le Messie aux yeux de ses contemporains (cf. le retable d’Issenheim en Alsace). Pourtant, cela ne veut pas dire que nous ne serions pas nous aussi envoyés par Dieu, d’une manière propre à chacun de nous. Quand il nous envoie en mission, Dieu s’adapte à notre situation particulière et il tient compte de nos choix passés. S’il arrive que le plan A soit compromis pour diverses raisons, il a un plan B, et même un plan C, etc.

Nous avons donc intérêt à nous interroger sur la ou les missions que Dieu nous confie ; demandons-le lui dans nos prières : Seigneur, que veux-tu que je fasse ? M’appelles-tu moi aussi à être d’une manière ou d’une autre un témoin de ta lumière, d’une façon modeste ou peut-être éclatante ?

Il est juste également que nous fassions mémoire des personnes qui ont été ou qui sont pour nous des Jean-Baptiste ; dans ma vie, qui a désigné pour moi le Christ comme l’unique sauveur ? Peut-être mes parents, peut-être tel ou tel autre membre de ma famille. Telle ou telle personne, à un moment ou l’autre de ma vie, a eu la présence d’esprit et peut-être aussi le courage de me dire : tu as intérêt à regarder Jésus, à saisir la main qu’il te tend toujours et que peut-être tu as lâchée. Écoute cette voix qui parle à ton cœur et qui te dit que Jésus t’aime ! Oui, aujourd’hui il t’aime car il est vivant pour toujours, et il est assez puissant pour être auprès de toi sans cesse, pour te soutenir, pour t’attirer à lui, et c’est là, là seulement, que se trouve la vraie joie. Osons dire, comme le prophète Isaïe dans la première lecture : « Je tressaille de joie dans le Seigneur, mon âme exulte en mon Dieu ».