Homélie du 26 février 2023
1er dimanche de Carême. Année A
Mat 4, 1-11
Dans le Notre Père nous disons désormais : ne nous laisse pas entrer en tentation.
D’aucuns auraient préféré la formule : ne nous laisse pas succomber à la tentation.
La tentation reste une épreuve pénible, car elle peut nous épuiser mais elle peut aussi nous élever.
Au commencement de sa vie publique, Jésus se laisse conduire au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable, celui dont la mission est de tenter les hommes pour les éloigner de Dieu
Jésus a donc connu cette expérience, mais non seulement il n’a pas succombé aux propositions du démon, mais il a su les combattre et les renverser.
Les trois tentations auxquelles Jésus est soumis symbolisent les trois domaines où l’homme exerce son humanité : l’avoir, le pouvoir, le savoir. Or l’enjeu est de tester notre relation et notre fidélité à Dieu. Prétendons-nous vivre notre humanité par nous-mêmes et pour nous-mêmes ou bien par Dieu et pour Dieu ? Devons-nous envisager de « bricoler » notre vie en nous ménageant des petites zones d’indépendance, des arrangements commodes, ou bien acceptons-nous de laisser la lumière de Dieu entrer dans tous nos espaces extérieurs et intérieurs ?
Examinons chacune de ces tentations :
La tentation de l’avoir est ainsi figurée par la transformation des pierres en pain.
A Jésus qui a faim, le diable propose une solution immédiate.
Le besoin d’avoir, de posséder, est souvent lié avec le tout et tout de suite.
La faim peut être un besoin réel, un besoin vital, et il devient dès lors une nécessité impérieuse de la combler.
Aujourd’hui, trop de personnes manquent des moyens de base pour vivre. C’est pourquoi il est bon de chercher à remédier à cette injustice, mais pour cela, l’homme ne manque pas de ressource, et il est bon par ailleurs de souligner la valeur du partage.
Notre société dite de consommation sollicite sans cesse notre penchant à avoir, à posséder, à profiter, à accumuler des biens qui sont utiles mais pas toujours indispensables.
Le risque est de ne regarder que soi-même et de ne pas voir les autres.
Le risque est aussi de ne donner la priorité qu’aux biens matériels, et de concevoir tous les biens -fussent-ils spirituels, intellectuels, dans un esprit de consommation égoïste.
C’est pourquoi Jésus a raison de répondre au démon : l’homme ne vit pas seulement de pain mais de tout ce qui sort de la bouche de Dieu.
En disant cela, il nous rappelle que nous avons à défendre d’abord notre identité et notre dignité de fils et de filles de Dieu. Quand le souci des besoins matériels vient étouffer nos besoins spirituels, entraver, affecter nos relations familiales, amicales, sociales, alors il nous faut réagir.
La réflexion, la méditation de la Parole de Dieu, la prière nous aideront plus aisément à renoncer à ce qui est superficiel, à ce qui nous éloigne des autres, à ce qui nous éloigne de Dieu.
Le temps du carême est une invitation à donner la priorité à la vie intérieure, mais aussi à chercher la fraternité, l’amitié, le souci des uns pour les autres, à travers le partage et la générosité.
La tentation du pouvoir est figurée par cette certitude que Dieu peut tout faire pour nous. Et s’il ne le peut pas, alors mieux vaut s’en détourner, et se persuader que nous avons tout pouvoir sur nous-mêmes et sur les autres. Le diable propose à Jésus un pari insensé en se jetant du haut du Temple.
Aujourd’hui l’exercice du pouvoir chez certains dirigeants, certains chefs des nations, relève d’un pari insensé, et révèle un orgueil démesuré, orgueil qu’on retrouve dans les comportements quotidiens, dans les milieux professionnels, dans les relations familiales, et jusqu’au plus profond de la conscience de tout un chacun.
L’orgueil peut ainsi nous pousser à exercer sur Dieu une forme de chantage, quand plus rien ne fonctionne comme nous le voudrions, quand nous sommes découragés à force d’avoir tout essayé.
Jésus n’a pas pu tout transformer dans la société de son temps, il n’a pas pu supprimer toutes les injustices, changer les mentalités. Mais il s’est soumis à la toute puissance d’amour de son Père. Il n’a cessé d’être à l’écoute et en dialogue avec son Père. Il nous apprend ainsi la véritable obéissance qui suppose le temps, la patience, la fidélité. Dieu agit d’une manière qui nous échappe, et il est bon qu’il en soit ainsi car nous pourrions penser que Dieu peut répondre à chacune de nos demandes que nous estimons justes.
Le seul pouvoir que Dieu exerce sur nous est le pouvoir de son amour. Le seul pouvoir qu’il nous autorise est celui du service. Dieu n’empêche ni la maladie, ni le handicap, ni les catastrophes naturelles, ni la mort. Mais son amour ne cesse de nous accompagner, de nous aider à travers les épreuves, son amour se fait service de tout homme, et lui donnant les moyens de se relever, de se rétablir, de se reconstruire avec l’énergie de l’espérance.
Le temps du carême nous aide à éprouver la qualité du temps à travers un renouvellement de notre prière, une redécouverte de l’amour inlassable que Dieu porte à chacun.
La tentation du savoir est figurée par cette assurance de prétendre tout maîtriser, revendiquer le savoir absolu. Vous serez comme des dieux connaissant le bien et le mal, disait le diable à Eve. Jésus se voit proposer tous les royaumes de la terre à condition de se soumettre au démon. Mais là encore cela ne marche pas. Le seul devant qui on se prosterne et on adore, c’est Dieu.
Or l’homme d’aujourd’hui se prosterne devant de multiples idoles qui le fascinent et lui font perdre le sens des réalités. Parmi ces idoles, se trouve cet incroyable progrès technique que nous connaissons depuis plusieurs décennies, qui nous propulse dans une course vertigineuse pour conquérir l’univers.
Le pape François écrivait dans Laudato Sii, son encyclique sur l’écologie : « nous ne pouvons pas ignorer que l’énergie nucléaire, la biotechnologie, l’informatique, la connaissance de notre propre ADN et d’autres capacités que nous avons acquises, nous donnent un terrible pouvoir. Mieux, elles donnent à ceux qui ont la connaissance, et surtout le pouvoir économique d’en faire usage, une emprise impressionnante sur l’ensemble de l’humanité et sur le monde entier. Jamais l’humanité n’a eu autant de pouvoir sur elle-même et rien ne garantit qu’elle s’en servira toujours bien, surtout si l’on considère la manière dont elle est en train de l’utiliser. »
Face aux perspectives profilées par l’intelligence artificielle, le métavers et autres technologies innovantes, nous pouvons nous interroger et nous demander ce que sera l’avenir de l’homme, ce que deviendra chaque personne humaine avec sa spécificité, son originalité, son unicité.
Le temps du carême nous appelle à un mouvement inverse en revenant à un équilibre de vie, un style de vie plus sobre, car la vraie vie nous donne souvent des leçons d’humilité. Le jeûne nous recentre sur l’essentiel en venant ébranler nos habitudes.
Bref, ces trois tentations symboliques de l’avoir, du pouvoir et du savoir, nous montrent que la réalité va bien au-delà des petites tentations quotidiennes que nous avons bien du mal à canaliser.
Si dans le Notre Père nous demandons à ne pas entrer en tentation, c’est bien pour ne pas nous trouver pris au piège de l’orgueil et nous risquer à mener un combat qui pourrait s’avérer au-delà de nos forces. Néanmoins, l’épreuve est bien là et comme nous le rappelle l’évangile, elle est d’abord un appel à nous laisser conduire par l’Esprit, à choisir de placer Dieu au coeur de notre vie.