Vendredi, 10 Mai

A propos du «vrai visage du Christ»


Pourquoi de curieuses photos présentées comme une découverte scientifique ressurgissent-elles juste avant la célébration de la Nativité ?

Comme par hasard à la mi-décembre, juste avant Noël, une grande nouvelle a fait le buzz , lancé sur le site internet britannique de vulgarisation scientifique, Popular Mechanics, relayée par la très sérieuse BBC et des sites français comme celui de l’Express ou de Vanity fair. La découverte était irréfutable et définitive : des anthropologues israéliens venait de découvrir, photos à l’appui, le vrai visage du Christ .

Non, le Galiléen n'était pas un blond aux yeux bleus, mais avait le type sémite. Et de présenter, comme preuve, la reconstruction faciale faite à partir du crâne d’un Galiléen contemporain de Jésus. Surprise: il a le type sémite, les cheveux noirs et les yeux sombres. A vrai dire, on pouvait s’en douter, car c'est un peu l'idée que l'on pouvait se faire du physique d'un rabbin juif du Ier siècle à la peau tannée par le soleil du Proche-Orient ...
Autre découverte : il n'avait pas les cheveux longs. Au fond, pourquoi pas...
Mais de là à lui donner un faciès inquiétant et ahuri. On dirait l'idiot du village :

                                      image1      image2

Quoique l'on croie et quoique l'on pense, il est difficile d'imaginer que le rabbin qui a déplacé des foules entre Judée et Galilée dans les années 30 de notre ère n'ait pas été un bel homme doté d'un certain charisme.
Pour qui pense que Dieu a fait l'homme son image, il serait invraisemblable qu'Il ait donné à son Fils le physique d'un dadais ...

Christ Syrie 586

 

 

Voici une autre "photo" du Christ : ce portrait est extrait d’un évangéliaire syrien daté de l’an 586.

Il s’agit d’une des plus anciennes représentations connues du Christ .On objectera que son auteur l’a peinte cinq siècles et demi après la prédication , la passion et la Résurrection du Seigneur. Et donc, il ne s’agit pas d’un témoignage de première main : 15 à 20 générations se sont succédé depuis les événements de Jérusalem. A l’époque, toute la province byzantine de Syrie était chrétienne depuis longtemps. (*)

 

 

 

 

 

 Mais en ces temps-là, les traditions orales pouvaient perpétuer très longtemps de souvenirs exacts. Avec d’inévitables distorsions, mais fondées le plus souvent sur une trame réelle et tangible. Or, sur cette icône, se retrouvent tous les critères évoqués par les anthropologues israéliens : le type oriental brun au teint basané, barbe et cheveux courts, mais ici, le regard n’est pas halluciné, mais doux et bienveillant. Comme " vrai visage du Christ", ce très antique portrait syrien du VIe siècle, est tout de même plus sympathique.

Dans les églises brésiliennes - et sans doute largement en Afrique, on voit fréquemment des crucifix au teint sombre et des statues de saints noirs.

                                      Alcantara45

Mais on trouve également dans les églises romanes du Languedoc et du Roussillon des vierges noires , statues romanes des Xe-XIIe siècle ( on en recense près de 500 dans tout le bassin méditerranéen) : le christianisme vient de l'Orient,et se veut universel. La représentation en Europe d'un Christ de "type aryen" est née au XIXe siècle avec la vogue des images pieuses d’inspiration "sulpicienne". Cette imagerie connait d’ailleurs un renouveau outre-Atlantique dans les milieux New-Age et pentecôtistes.

blond type occidental

 

 

 

La représentation en Europe d'un Christ de "type aryen" est née au XIXe siècle avec la vogue des images pieuses d’inspiration "sulpicienne". Cette imagerie connait d’ailleurs un renouveau outre-Atlantique dans les milieux New-Age et pentecôtistes.

 

 

 

 

Lorsque, au Moyen-Age, parmi les reliques  rapportées de Terre sainte figurait le Saint-Suaire. La question n’est pas de débattre de son authenticité, mise à mal par les analyses au carbonne14. Il reste la certitude que la relique provient bien de la région Syrie-Palestine. Le visage, imprimé par la sueur, le sang et les aromates, est celui d’un supplicié de type oriental, qui a ensuite largement inspiré les représentations ultérieures du Christ. A l’image du Christ en majesté, Pantocrator, triomphant, se substitue celle du Crucifié, au visage émacié. La vraie photo du Christ, ce n’est pas nouveau…

suaire

 

Lorsque, au Moyen-Age, parmi les reliques  rapportées de Terre sainte figurait le Saint-Suaire. La question n’est pas de débattre de son authenticité, mise à mal par les analyses au carbonne14. Il reste la certitude que la relique provient bien de la région Syrie-Palestine. Le visage, imprimé par la sueur, le sang et les aromates, est celui d’un supplicié de type oriental, qui a ensuite largement inspiré les représentations ultérieures du Christ. A l’image du Christ en majesté, Pantocrator, triomphant, se substitue celle du Crucifié, au visage émacié. La vraie photo du Christ, ce n’est pas nouveau…

 

 

 

 Dans la paroisse parisienne de Notre-Dame de Chine, consacrée en 2005 dans le Chinatown du  XIIIe arrondissement de Paris, la vierge de marbre a les yeux en amande...  De même , en Chine, les visages des saints sont très typés :

nd de chine

Que les peuples, par désir d’identification, imaginent un Christ et des saints qui leur ressemblent ne semble pas choquant, mais bien plutôt sympathique. Ce qui est troublant, c'est cette volonté d’avoir voulu, au prétexte de « l’humaniser », banaliser et « réduire à l’état laïc » la personne du Christ, à l'approche d'une fête religieuse, heureuse et joyeuse, que certains voudraient surtout mercantile ou réductrice, totalement paganisée, avec la célébration du solstice d'hiver. 

2002

 

 Car le scoop du vrai visage du Christ n’en n’était pas un : ces « vraies photos » avaient déjà été publiées sur le site internet de Popular Mechanics , en décembre 2002, puis en 2010, avant de ressortir en 2015. 

Dans la presse, on appelle ça un « marronnier » !

               Olivier FORICHON

 

 

 

 

 * Note : dès le IIe et le IIIe, Damas avait envoyé ses missionnaires évangéliser le sud de la Gaule : saint Saturnin à Toulouse, saint Privat en Lozère, et d’autres encore…

La Syrie et la Palestine tombent aux mains des cavaliers djihadistes musulmans un demi-siècle plus tard, en 636, à la bataille du Yarmouk. Constantinople n’arrivera jamais à recouvrer ses provinces perdues.