Vendredi, 10 Mai

Redécouvrir Nicolas Greschny, peintre iconiste russe du Midi

Nicolas Greschny a peint bien plus que trois églises au fin fond de l’Aveyron ! De la Libération à sa mort en 1985, à l’âge de 73 ans, il a peint une centaine d’œuvres monumentales dans 26 églises au moins ( il en reste à redécouvrir, et des fresques ont sans doute disparu), à travers toute la France et principalement dans notre «grande région réunifiée ».

Dans l’Hérault, il a décoré les églises de Saint-Drézéry,

st Drzery   St drzery2    St drzery3

Intérieur de l'église

Cazedarnes,

cazedarnes

Dans les fonts baptismaux de la petite église de Cazedarnes, près de Saint-Chinian, Greschny a représenté des jeunes enfants du village.(DR)

Pailhès, Corneillan… Ses amis ont calculé qu’il avait peint une surface supérieure à 10 000 m² ! Un hectare de fresques dans la tradition russe et byzantine, qu’il est surprenant de découvrir – avec ravissement- dans la région.

Né en 1912 à Tallinn ( Esthonie) dans une famille de Russes vieux-catholiques, la jeunesse de Nicolas Greschny est un roman rythmé par les événements politiques dans l’Europe de la première moitié du XXe siècle. Sa mère est une Balte de souches allemande et française. Dans la lignée paternelle, les Greschny sont des théologiens et des peintres iconistes de père en fils depuis le XIVe siècle. Le père de Nicolas est diacre de l’église catholique. L’errance de l’artiste à travers l’Europe d’alors présente des ressemblances troublantes avec l’actualité contemporaine.

En 1917, la famille, fuyant les bolchéviques, se réfugie à Breslau, capitale de la Silésie (aujourd’hui, ville polonaise sous le nom de Wroclaw). Le jeune Nicolas y passe son bac chez les jésuites, car il voudrait poursuivre des études de théologie à Rome, mais, renvoyé pour indiscipline, il part à Berlin étudier les Beaux-Arts.

A l’arrivée au pouvoir des nazis, il se réfugie en Autriche, qu’il doit encore fuir lors de l’Anschluss. Commence pour lui le long périple d’un «sans-papiers» à travers l’Europe des années de guerre : en 1940, il tente de retourner à Riga, se réfugie au Danemark dont il est expulsé, arrive en France ou il est arrêté à Orléans et interné au camp d’Argelès. Il s’en échappe avec l’aide de l’évêque de Perpignan ! Ses amis jésuites le cachent au grand séminaire de Toulouse, ou il reprend ses études de théologie, tout en peignant des icônes pour survivre. En 1942, la zone sud est occupée. Un Russe parlant parfaitement allemand est forcément suspect. Il se cache alors au séminaire d’Albi, mais trouvera également refuges en divers endroits de la montagne tarnaise, de l’Aveyron et jusqu’en Lozère. En peignant partout où il passe, laissant ici ou là des petites icônes échangées pour survivre.

A la Libération, une recommandation de l’évêque d’Albi lui permet de décrocher ses premiers gros chantiers. Il repeint des chœurs d’églises en style néo-byzantin ( christ pantocrator, angelots, etc…) avec une belle frénésie à travers tout le Midi. En même temps, il achète un hameau en ruine, la Maurinié, vers Ambialet à l’est d’Albi. Il le remonte pierre par pierre, avec un goût d’artiste très sûr. Mais surtout, la grange devient une chapelle selon ses critères, n’oubliant pas de préparer pour lui-même une crypte mortuaire, souhaitant y être enterré.

C’est un parfait original, qui vivait en sandales et nu comme un vers dans sa ruine, ne passant un short été comme hiver, qu’à l’approche d’un visiteur. Ayant enfin des papiers en règle, c’est en chemisette et en culotte courte qu’il épouse, en 1957 dans sa chapelle, Marie-Thérèse , rencontrée en 1952 à Béziers. C’est aussi une artiste. Le couple aura deux enfants, qui habitent toujours aujourd’hui la Maurinié avec leur mère.

La Maurini 1

Le hameau de la Maurinié, entièrement rebâti par l'artiste.

En 1959, Nicolas Greschny repeint le chœur de l’église de Lacrouzette ( Tarn). Une paroissienne, alors jeune fille, se souvient du chantier. « Il est arrivé le lundi, on a vidé le chœur, et il a installé ses échafaudages. Le chœur a été badigeonné en blanc, et là, il s’est mis au travail. A main levée et sans esquisse. Il peignait à toute allure, c’était impressionnant. Il travaillait sans arrêt et je crois même qu’il dormait dans l’église. A la fin de la semaine, tout était fini pour la messe dominicale ! ».

Polyglotte (russe, allemand, esthonien, français…), Greschny maitrise également la langue d’Oc, qu’il utilise pour les inscriptions de ses fresques.
La décennie suivante, Nicolas Greschny est alors à son apogée. Il semble qu’il vive alors à peu près correctement de son art. Ses amis disent qu’il a été ruiné par Vatican II : la mode liturgique est alors au dépouillement, et son style néo-byzantin prend d’un seul coup un air démodé pré-conciliaire. Les commandes cessent. Marie-Thérèse et Nicolas se recyclent en organisant des stages de peinture et d’émaux à la Maurinié. Lorsqu’il s’éteint en avril 1985, Nicolas Greschny est inhumé, selon son vœu, dans la chapelle qu’il y a bâtie.

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La chapelle de la Maurinié, construite et voûtée par le peintre. Il s'y est marié et y repose désormais.

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Intérieur de la chapelle

N Greschny autoportrait

Greschny s'est peint - en short- présentant la maquette de la chapelle.

Il laisse une œuvre immense, puissante et riche d’un authentique artiste, croyant et mais aussi mystique et dont une part reste méconnue. On retrouve encore régulièrement des œuvres non répertoriées. Pour ma part, j’ai découvert par hasard , dans le vide-grenier d’une vente de charité à Marvejols ( Lozère) une toute petite icône représentant… sainte Thérèse de Lisieux, d’après sa photo la plus connue. Etonné par la signature en caractère cyrillique, datée de 1943, j’avais acquis cette œuvre négligée pour 1 € en 2003.

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En 2012, j’ai eu l’occasion de retourner à la Maurinié. L’endroit est charmant. Il suffit d’agiter la cloche, et Claire, l’épouse de Micha ( Michaël pour les intimes) m’a permis de revoir ces lieux découverts en 1957, lors d’une visite en famille, en présence de Nicolas Greschny, dont j’avais gardé le souvenir d’un grand gaillard dégingandé. Peu après, Michaël Greschny m’a très gentiment authentifié , sur photo, la petite icône trouvée à Marvejols, avec ce commentaire : « Encore une de retrouvée ! Il s'agit bien d'une icône de mon père, et elle fait, selon la date, partie des petites icônes qu'il a réalisées à Albi lorsque il était caché à la collégiale.
« Elle est absolument charmante comme les icône peintes durant cette période, et faite avec les moyens du bord. L'inscription est: N Greschny a peint en 1943 ».

Olivier FORICHON

Son prénom s’écrit indifférement Nicolas ou Nicolaï selon les textes, mais il s’agit bien du même homme…

Divers sites internet sont consacrés à l’artistes

Wikipédia : http://www.nicolaigreschny.net/?page_id=8

Le site officiel : https://fr.wikipedia.org/wiki/Nicolas_Greschny. Ce site est lui-même un « portail » vers de nombreux autres sites consacrés au peintre

Le site des « amis de Nicolas Greschny » : http://www.vivreaupays.pro/Annonces/tabid/81/ProdID/2819/Langauge/fr-FR/CatID/17/GRESCHNY_NICOLAI_MARSAL_PEINTRE_TARN.aspx

Aller à la Maurinié : carte Michelin n° 83 pli 1 NE latitude: 44.94° N , longitude: 2.29° E
La Maurinié est un hameau près de Marsal situé sur la D172 à environ 12 km d'Albi en direction d'Ambialet , village célèbre pour son méandre remarquable du Tarn et pour son prieuré roman, siège d’un ordre missionnaire opérant au Mato-Grosso ( Brésil) et accueillant également une université américaine.